Changer les mots, mais pas les défis : que reste-t-il de l’agroécologie ?

[Edito] « Radical », « militant », « partisan de la décroissance »… le mot « agroécologie » a disparu des discours politiques et des textes de loi. Une mutation sémantique révélatrice d’une nouvelle vision de l’exécutif en matière d’agriculture. Les mots changent, mais les enjeux environnementaux et climatiques, eux, demeurent.

L’agroécologie, c’est fini ? Le mot n’est pas seulement passé de mode, après avoir connu une large médiatisation au cours des années 2010, en particulier lors du mandat de Stéphane Le Foll au ministère de l’Agriculture. Il est désormais proscrit du langage de la ministre de l’Agriculture Annie Genevard. Car dans « agroécologie », il y a « écologie », un terme devenu politiquement chargé, trop militant, trop radical. A tel point qu’il a été volontairement banni de la loi d’orientation agricole adoptée le 20 février 2025. Dans le Code rural, le mot « agroécologie » est désormais remplacé par « outils scientifiques et techniques utiles aux transitions climatique et environnementale ». Le choix des mots est éminemment politique, et le terme se veut plus technique, plus pragmatique, en accord avec la vision de l’exécutif orientée vers la « production » et la « simplification ».

Réarmement agricole

La France doit « produire plus pour rester une puissance exportatrice et jouer dans la cour des grands », a déclaré Annie Genevard au Salon de l’agriculture. Il semble bien loin le temps de 2017, quand Emmanuel Macron promettait l'interdiction du glyphosate et vantait une « montée en gamme » de la production agricole. Entretemps, le covid puis la guerre en Ukraine ont réactivé la notion de « souveraineté alimentaire », qui s’est éloignée de son sens initial pour incarner le « réarmement » de la puissance agricole française.

Exit donc, la notion d’agroécologie, associée à la décroissance et à un retour en arrière. Mais les mots auront beau changer, les enjeux pour l’agriculture de demain demeurent les mêmes : continuer à produire de façon suffisante sous un climat plus chaud et plus violent, en assurant un revenu pour les agricultrices et agriculteurs, avec de moins en moins de solutions chimiques, en limitant les émissions de gaz à effet de serre et en restaurant la biodiversité.

"Ingénierie agroécologique"

Il ne s’agit plus de produire toujours plus, mais de s’adapter aux nouvelles conditions climatiques tout en tirant profit des connaissances acquises par la recherche et les expérimentations sur le terrain. Loin d’un retour en arrière, l’agroécologie mobilise la science et l’innovation pour permettre de concilier la productivité avec les performances environnementales – on parle d’ailleurs « d’ingénierie agroécologique ». Elle s’appuie sur les connaissances acquises en matière de régulation biologique, de fertilité des sols, d’efficience de l’irrigation et de la fertilisation, etc.

Au final, les « outils scientifiques et techniques utiles aux transitions climatique et environnementale » sont nombreux, et beaucoup sont déjà mis en place sur le terrain – Pleinchamp s’en fait régulièrement l’écho : nouvelles variétés résistantes, mélanges de variétés ou d’espèces, agroforesterie, couverture végétale, agriculture de conservation, relay-cropping, reconnexion animal-végétal, sondes connectées, pâturage tournant, lutte biologique, biocontrôle

D’autres leviers sont encore au stade de la recherche, à l’instar des interactions entre les plantes et les micro-organismes, mais pourraient à l’avenir faire partie intégrante de la boîte à outils agroécologiques. Les outils de demain existent déjà aujourd’hui, mais ils nécessitent d’être activement soutenus et valorisés via des politiques publiques ambitieuses.

Attaques contre la science

Alors qu’outre Atlantique, Donald Trump s’est lancé dans une véritable chasse aux sorcières à l’encontre de la science, démantelant les politiques environnementales et coupant les subsides pour tout projet lié au réchauffement climatique - qu’il qualifie de « farce » - c’est bien grâce à la recherche et à l’expérimentation que nous disposerons des fameux « outils scientifiques et techniques utiles aux transitions climatique et environnementale ». Changer les mots, mais pas les ambitions environnementales, car les transitions climatiques sont déjà l’œuvre.