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Pesticides : à la recherche du temps perdu… dans la non-recherche d’alternatives
[Edito] La situation d’impasse phytosanitaire de la noisette, qui plonge les producteurs dans le désarroi et hystérise le débat public, est le fruit d’une inconséquence politique et du simplisme « un problème phyto, une solution phyto », dont l’Etat et la profession peinent à faire le deuil.
« Écoutez bien ce chiffre : 1.071.562 mots, l’équivalent des sept volumes de « A la recherche du temps perdu ». 1.071.562 mots et pas un seul pour les agriculteurs, juste un long voyage en absurdie ». C’est ce qu’a clamé lundi la ministre de l’Agriculture, convoquant Proust et Kafka, à la tribune de l’Assemblée nationale, laquelle s’apprêtait à examiner la Proposition de loi (PPL) visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, dite PLL Duplomb-Menonville. La séance a tourné court puisque son rapporteur, soutenu par les quatre présidents de groupe du bloc central, a déposé une motion de rejet de son propre texte, pour contourner les « 1.071.562 mots » contenus dans les 3526 amendements, déposés majoritairement par les Ecologistes et LFI. Leur examen aurait signé l’arrêt de mort de la PPL pour cause de dépassement du délai imparti par le calendrier parlementaire. Une sorte de délais de rentrée inversé.
« Régression environnementale » et « déni démocratique »
La motion « tactique » de rejet, qui a recueilli une majorité de suffrages, dont ceux du RN, a pour effet d’expédier le texte directement en Commission mixte paritaire (CMP) où 7 députés et 7 sénateurs devront s’accorder sur une version « conclusive », qui sera alors mise au vote au Parlement. Le texte soumis aux parlementaires de la CMP sera celui adopté par les sénateurs en janvier dernier. Et, même si le rapporteur Julien Dive (LR) s’est engagé à défendre les amendements issus des examens en Commission à l’Assemblée, la manœuvre a déclenché l’ire des opposants à la PPL, symbole de « régression environnementale » pour ce qui est du fond et de « déni démocratique » pour ce qui est de la forme. « Vous ensevelissez le débat sous une montagne d’amendements et vous accusez autrui de ce dont vous faites la démonstration », a pourfendu Annie Genevard.
Un cas d’école de surtransposition à la française
Parmi les nombreux « irritants » de la PPL figurent les « mégabassines » les « fermes-usines » et autres « pesticides toxiques », dont l’acétamipride, candidate à une réautorisation dérogatoire et sous condition pour déjouer les impasses techniques de certaines filières orphelines, dont la noisette.
L’acétamipride est un cas d’école de surtransposition à la française à l’œuvre depuis 2018 car l’insecticide néonicotinoïde est autorisé dans toute l’UE jusqu’en 2033, même s’il n’est pas exclu que l’EFSA révise le calendrier, à la lumière de nouvelles données sur sa dangerosité pour les pollinisateurs et pour l’Homme. Faire fi de cette réalité ne serait pas responsable.
Cette inconséquence politique, ce sont les producteurs, de betteraves en 2020, de noisettes en 2024 (exemples les plus emblématiques mais non exhaustifs) qui en font les frais, et qui pâtissent par ailleurs de la sous-dotation de la recherche d’alternatives. « En 1995, on commence à avoir des recherches sur le biocontrôle, à l’INRA, du balanin de la noisette mais les travaux n’ont pas été poursuivis », a pesté mardi sur France Culture le microbiologiste et écologue Marc-André Selosse, dénonçant par ailleurs « la lâcheté politique » au sujet des clauses miroirs.
« Pas d’interdiction sans solution » ou « pas d’interdiction sans indemnisation » ?
Loin d’être « accros » à l’acétamipride, les nuciculteurs français, via leur Association nationale des producteurs de noisettes (ANPN), cherchent des alternatives depuis 1971, en auto-finançant en bonne partie leurs travaux en génétique et lutte biologique. Car le soutien public n’a pas toujours été à la hauteur des enjeux, tandis que prospérait, il est vrai, le simplisme « un problème phyto, une solution phyto ». Jusqu’à ce que la maille des filtres des pulvés se resserre à l’aune des impacts sur l’environnement et sur la santé humaine, toujours plus documentés, et fasse émerger un autre simplisme, « pas d’interdiction sans solution », suggérant un troublant renversement de hiérarchie entre enjeux sanitaires, environnementaux et économiques, auquel on préfère le « pas d’interdiction sans indemnisation », imparfaitement mais globalement assumé par l’Etat.
Approche systémique et combinatoire
Mais les temps changent, parfois en bien, et l’Etat pour le coup semble prompt à changer de fusil d’épaule. Le Plan de sortie du phosmet, les PNRI en betterave, les 20 plans d’action multi-filières du PARSADA ou encore les enseignements des Fermes Dephy laissent entrevoir l’espoir d’une approche systémique et combinatoire, pour ne pas dire agroécologique (le mot a été banni de la LOA), de la protection des cultures. D’où l’impérieuse nécessité que les agriculteurs s’en approprient les acquis. Systématiser l’approche systémique n’est ni une chimère ni une option : au-delà de la betterave et de la noisette, du colza ou de la cerise, le sort de toutes les productions sans exception est en jeu. Y compris, transitoirement, avec la béquille acétamipride. « La noisette bio, ça ne marche pas », a déclaré à regret Yves Thomas, céréalier bio et producteur de noisettes en conventionnel au même micro de France Culture.