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Pesticides au robinet (3/4) : couper le robinet… des produits phytos
A défaut de mesures préventives efficaces, la lutte contre la pollution diffuse des eaux peut faire l’objet de mesures de restriction d’usage des produits phytos au sein des périmètres de protection de captage. Ce que les autorités peinent à mettre en œuvre. Jusqu’à quand ?
« Le retrait de substances du marché et les restrictions d’usage des produits sont un levier efficace (…) La fiscalité sur l’utilisation des produits phytopharmaceutiques n’est pas suffisante pour réduire les usages (…) Les contrôles de l’utilisation des produits phytosanitaires sont un levier à mieux mobiliser ». C’est ce qu’on peut lire dans un rapport interministériel (Agriculture, Santé, Transition écologique), qui fait le constat que plus de plus de 10 millions de Français, en 2022, ont été alimentés par une eau non conforme aux exigences réglementaires vis-à-vis des pesticides et de leurs métabolites et que les mesures préventives de protection des aires d’alimentation de captage sont inefficaces sinon inexistantes. D’où le brandissement d’une arme coercitive à plusieurs coups : interdictions sinon restrictions d’usage, alourdissement de la redevance pour pollution diffuse, renforcement des contrôles par les services de l’OFB.
75 substances sur la sellette, 79% des tonnages
Les interdictions d’usage, les agriculteurs y sont plutôt coutumiers. Ces dernières années, ils ont dû notamment composer avec le retrait des néonicotinoïdes (avec un cas de surtransposition concernant l’acétamipride), du chlorothalonil, du phosmet, du diméthoate, du S-métolachlore, de la chloridazone ou encore des restrictions d’usage concernant par exemple le prosulfocarbe. Le glyphosate a quant à lui été réautorisé jusqu’en 2033, sauf procédure exceptionnelle qui serait motivée par de nouveaux éléments scientifiques. « Le non renouvellement de l’approbation d’une substance contribue efficacement à la préservation des eaux brutes utilisées pour produire des eaux destinées à la consommation humaine, même si l’effet peut n’être constaté que de nombreuses années après le retrait du marché », lit-on dans le rapport.
Dans les 3 à 5 ans à venir, dans le cadre européen du réexamen périodique des Autorisations de mise sur le marché (AMM), 75 substances actives, représentant 79 % des quantités de substances actives utilisées en France en 2022, pourraient potentiellement être bannies du local phyto. En guise de parade, le ministère de l’Agriculture a lancé fin 2023 le Plan d’action stratégique pour l’anticipation du potentiel retrait européen des substances actives (Parsada), lequel passe en revue 14 couples bioagresseurs / cultures sous la menace d’un retrait voire d’une impasse.
Les incidences du Plan eau et de la Stratégie Ecophyto 2030
En matière d’encadrement des usages, tout ne se joue pas au niveau européen. Conformément au Plan eau, dévoilé en mars 2023, la Stratégie Ecophyto 2030 a instauré la notion d’aires d’alimentation de captage « sensibles et prioritaires », qui doivent définies par arrêté avant fin 2024. Dans les zones en question, « en cas de dépassement des exigences de qualité fixées pour les eaux destinées à la consommation humaine par un pesticide toujours utilisé, des mesures de gestion permettant de juguler le risque seront mises en place automatiquement par le préfet, en complément des mesures du plan de gestion de la sécurité sanitaire des eaux de la collectivité (PGSSE) ». Si la mesure est suivie d’effet, elle pour resserrer l’étau sur les phytos car en l’état actuel des choses, les arrêtés préfectoraux de Déclaration d’utilité publique (DUP), qui régissent les périmètres de protection de captage (PPC) et les prescriptions associées sont « centrées sur les pollutions ponctuelles » et « rarement utilisées pour prescrire des servitudes sur les pollutions diffuses », note la mission. « Rien n’empêche de délimiter le périmètre de protection rapprochée pour y maîtriser les pollutions diffuses qui sont liées aux pratiques plus qu’à la présence de telle ou telle installation, et d’inscrire dans l'arrêté de DUP des restrictions concernant l’usage de produits phytosanitaires et/ou engrais minéraux, notamment si la mauvaise qualité de l’eau entraîne un risque d’abandon du captage ». Selon l’OFB, sur la période 1980-2019, sur près de 50.000 captages d’eau potable, 12.500 captages ont été fermés, en raison de la dégradation de la qualité de la ressource en eau, due, dans 41 % des cas, à des teneurs excessives en nitrates et pesticides.
Des arrêtés de DUP assortis de servitudes et d’indemnisations
La mission, qui relève que servitudes mises en pratique ou là sont jugées efficaces, préconise d’inscrire dans les nouveaux arrêtés de DUP des servitudes sur l'affectation ou l'utilisation des sols (obligation de boisement, de création ou maintien de prairie, d'agriculture biologique, de cultures à bas niveau d’intrant) et les pratiques agricoles (plafonnement des quantités de produits phytosanitaires, pratique du désherbage mécanique…). Pour les DUP en cours, la mission juge utile d’enclencher, au cas par cas, une procédure de « révision simplifiée » dès lors que cela ne remet pas en cause les périmètres de protection concernés. Le Code de santé publique reconnaît le droit à indemnisation pour les propriétaires et les exploitants des terrains soumis à des restrictions d’usage, ce qui concourt à leur « acceptation ». La mission constate que ces indemnités, subventionnées par les agences de l’eau et qui ne sont pas considérées comme une aide agricole, « sont bien acceptées par les bénéficiaires ».
Les Zones soumises à contrainte environnementale
Outre les DUP, un autre levier réglementaire pour encadrer sinon restreindre l’usage des produits phytosanitaires réside dans l’instauration de Zones soumises à contrainte environnementale (ZSCE), instituées par la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006 et à la main des préfets. Le dispositif repose sur un programme d’actions avec objectifs et indicateurs de résultats sur toutes les aires de captages en dépassement ou proches des limites de qualité pour les pesticides et leurs métabolites. En cas de non atteinte des objectifs de qualité à l’issue du premier plan, un arrêté doit mettre en place, sans délai, un programme de mesures obligatoires de restriction voire d’interdiction d’usages des produits phytopharmaceutiques sur ces aires, accompagné d’indemnités compensatoires pour les agriculteurs concernés.
Cependant, la mission relève que l’opportunité de mobiliser le levier ZSCE ainsi que son efficacité ne font pas consensus. La mise en place d’une ZSCE est vécue par certains comme un aveu d’échec de la mobilisation du monde agricole ou d’échec des mesures mises en œuvre. Le délai de trois ans entre la mise en place du programme d’action volontaire et l »évaluation des résultats est souvent beaucoup trop court. Les agriculteurs craignent qu’un programme d’action avec des mesures rendues obligatoires empêche que des aides leur soient versées pour soutenir l’évolution de leurs pratiques, ce qui les mettrait encore davantage en difficulté. Le risque d’opposition forte des agriculteurs et de leurs représentants, susceptible de bloquer les démarches engagées ou que l’on souhaite engager, explique ainsi par exemple pourquoi Eau de Paris n’est pas favorable au recours à des mesures réglementaires, l’absence de menace étant jugée comme l’un des facteurs ayant permis d’éviter la structuration d’une opposition de la profession agricole aux actions que qu’Eau de Paris a mises en œuvre avec un certain succès. En outre, la mission préconise de fondre les dispositifs de DUP et de ZSCE en un seul acte réglementaire de protection des captages.
Tous les articles de la série : Pesticides au robinet (1/4) : 10,2 millions de Français boivent de l’eau non conforme Pesticides au robinet (2/4) : comment préserver les aires d’alimentation de captage ? |