[Rétro 2024] En février, au Salon de l’agriculture, le soulèvement de terriens

La 60ème édition du Salon de l’agriculture fait la fête à la race normande et à son égérie, Oreillette. Mais quelques centaines d’agriculteurs ont aussi fait la « fête » à Emmanuel Macron, lors d’une inauguration mouvementée, avec un déploiement inédit de forces de sécurité pendues à leur oreillette. La crise ouverte en janvier ne sera toujours pas refermée en décembre.

« On ne peut pas mener de débat avec des gens qui ne respectent pas le cadre de nos productions, de nos territoires et viennent jeter des cocktails molotov au moment où on construit des réserves de substitution, parce que l’eau est un moyen essentiel ». En une phrase, perché sur un plateau fourrager porte de Versailles, la veille de l’ouverture du Salon de l’agriculture, le président de la FNSEA ferme la porte au « grand débat sur l’avenir de l’agriculture française et sur la souveraineté agricole et alimentaire » proposé par le président de la République.

La veille de l’ouverture, les JA et la FNSEA avaient campé porte de Versailles pour maintenir la « pression » sur l’exécutif après cinq semaines de barrages et autres actions coup de poing à travers la France, que plusieurs salves d’annonces gouvernementales avaient tempérés mais pas éteints. La Coordination rurale avait de son côté fait monter des tracteurs sur Paris depuis la Bourgogne Franche-Comté.

La veille de l’ouverture, les JA et la FNSEA avaient campé porte de Versailles pour maintenir la « pression » sur l’exécutif
La veille de l’ouverture, les JA et la FNSEA avaient campé porte de Versailles pour maintenir la « pression » sur l’exécutif

Pour tenter de conjurer le malaise agricole qui s’est étalé sur les routes de France et de Navarre et sur tous nos écrans de la mi-janvier à la mi-février, Emmanuel Macron décide de descendre dans l’arène ou plus exactement sur l’un des rings du hall 1, le « cœur vivant » du Salon de l’agriculture, que Gabriel Attal qualifiera de « Fête nationale ». Parmi les personnalités invitées sont pressenties Jean-Paul Bigard, PDG du groupe éponyme et côté distribution, Michel-Edouard Leclerc, président du Comité stratégique du groupe E.Leclerc et Dominique Schelcher, PDG du groupe Système U. « La question du revenu sera centrale » prédit l’Elysée. Les acteurs de l’industrie et de la grande distribution seront amenés à faire valoir leur position, et une fois n’est pas coutume, autrement que « par médias interposés ».

La goutte d’eau

Les associations environnementales sont aussi conviées et parmi elles les Soulèvements de la Terre, collectif qualifié d’écoterroriste » par le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, à l’origine de dégradations et de violences sur les sites des réserves de substitution du Poitou. La goutte d’eau que le démenti et le rétropédalage de l’Elysée n’épongeront pas. Une heure avant l’ouverture et l’inauguration par le président de la République, quelques centaines d’agriculteurs, arborant des signes distinctifs de la FNSEA, des JA et de la Coordination rurale forcent l’entrée du salon au moment où Emmanuel Macron s’entretenait, comme de tradition, avec les présidents de la FNSEA et des JA.

Emmanuel Macron, le 24 février, à proximité d’Oreillette, la Normande égérie de la 60ème édition du Salon de l’agriculture
Emmanuel Macron, le 24 février, à proximité d’Oreillette, la Normande égérie de la 60ème édition du Salon de l’agriculture

Huées, sifflets et appels à la démission rythmeront les premières heures du salon, qui sera investi par des centaines de membres des forces de l’ordre, une première, plaçant le chef de l’Etat sous haute protection durant toute la journée, au prix d’une ouverture décalée d’une heure et d’un accès public au hall des animaux à partir de 15 heures seulement.

Un débat improvisé, de nouvelles annonces

Le chef de l’Etat débattra finalement pendant plus de deux heures avec une vingtaine d’agriculteurs représentatifs de l’ensemble des syndicats, un exercice pendant lequel Emmanuel Macron fera plusieurs annonces, telles que la mise en place d’un « plan de trésorerie d'urgence », l’intégration de « prix planchers » dans une nouvelle loi Egalim ou encore la reconnaissance de notre agriculture et notre alimentation comme un « intérêt général majeur de la nation française ».

La Confédération paysanne a réussi le tour de force de mettre les prix planchers dans le débat mais pas à faire vaciller le libre-échange
La Confédération paysanne a réussi le tour de force de mettre les prix planchers dans le débat mais pas à faire vaciller le libre-échange

Mais le salon s’achèvera comme il avait commencé : par l’expression de la colère des agriculteurs. Le 1er mars, la Coordination rurale menait une action coup de poing autour de l'Arc de Triomphe à Paris tandis que des adhérents de la FDSEA de Seine-et-Marne, le département d’Arnaud Rousseau, jetaient des œufs sur les ministres de l’Agriculture et de la Transition écologique. Une action que le président de la FNSEA a affirmé sur BFM TV dimanche 3 mars ne pas « cautionner » tout en se gardant de la condamner. La Confédération s’est montrée bien plus sage, satisfaite d’avoir (re)mis les prix planchers dans le débat, tout en menant le mardi une action ciblant le stand de Lactalis.

Pour démontrer son activisme, le ministère de l’Agriculture communiquera à tout bout de champ et tout au long du printemps sur l’état de l’avancement des 70 engagements gouvernementaux, auxquels il faut ajouter le « Plan de simplification en agriculture », chantier ouvert par Gabriel Attal le 26 janvier à quelques encablures du barrage de Carbonne (Haute-Garonne) et qui se concrétisera par l’instauration du contrôle unique en novembre.

Le stand de la Coordination rurale, qui mènera une action coup de poing à l’Arc de triomphe le vendredi 1er mars
Le stand de la Coordination rurale, qui mènera une action coup de poing à l’Arc de triomphe le vendredi 1er mars

De son côté, le président de la République lambinera jusqu’au 2 mai pour recevoir les organisations professionnelles, comme promis lors du salon, tout en renvoyant aux élections des Chambres d’agriculture de janvier 2025 pour livrer sa « vision ». Quelques jours auparavant, sur la base de nouvelles promesses, la FNSEA et les JA sonneront le gong de fin de mobilisation.

Dans un pointage daté 13 septembre, le ministère de l’Agriculture fera état de 67% des 70 engagement « faits », 19% « avancés » et 14% « engagés ». Le 23 septembre, Marc Fesneau passera le flambeau, pour ne pas dire le lambeau, à Annie Genevard. Car entre-temps, une dissolution est passée par là et a emporté avec elle le projet de loi d’orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture, véritable Arlésienne du quinquennat.  L'« intérêt général majeur de la nation française » attendra.

Tous les articles de la rétrospective 2024 :

En janvier, les paysans sur le bitume, le Premier ministre sur la paille

En février, le soulèvement de terriens au Salon de l’agriculture