Produire sans entraves, mais pas sans controverses : la loi "anti-entraves" en examen au Sénat

Le Sénat examine une proposition de loi destinée à mettre fin aux « surtranspositions et surrèglementations » franco-françaises, ayant pour dénominateur commun la limitation des capacités productives de la ferme France. Ses contempteurs dénoncent une course éperdue et perdue à la compétitivité, au mépris des transitions.

Un projet de loi peut cacher une proposition de loi : alors que le Sénat examinera à partir du 4 février cette arlésienne qu’est devenue depuis plus de deux ans le projet de loi d’orientation agricole, brinquebalé par la dissolution de l’Assemblée nationale et l’instabilité gouvernementale, la Chambre haute examine les 27 et 28 janvier une proposition de loi (PPL) visant à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». Les deux textes ont pour rapporteurs communs les sénateurs Laurent Duplomb (LR) et Franck Menonville (Union centriste), tous deux agriculteurs, respectivement en Haute-Loire et dans la Meuse. Leur proposition de loi, comptant 6 articles, est cosignée par 192 sénateurs, soit davantage que la majorité absolue. Les rapporteurs attendent du gouvernement qu’il accepte le principe d’une procédure accélérée, puis l’inscription du texte, après adoption par le Sénat, dans une « semaine gouvernementale », afin de le soumettre au vote des députés.

La compétitivité et la souveraineté pour mamelles

Selon les rapporteurs, « la ferme France et ses 390.000 exploitants agricoles ont progressivement perdu pied, entravés par l’accumulation d’injonctions ayant souvent trouvé une traduction normative voire fiscale, concourant à l’érosion de leur potentiel productif, à l’accélération de la décapitalisation dans l’élevage, à l’apparition d’impasses techniques dans les cultures végétales ». En jeu : la souveraineté alimentaire de la Nation, un « acquis pas immuable mais au contraire un trésor fragile, patiemment constitué, fruit des efforts de femmes et d’hommes sur maintes générations », mais mise à mal par la « brutale érosion de compétitivité », aboutissant au « déclin continu » des parts de marché de l’agriculture française sur les marchés internationaux et en particulier au sein de l’Union européenne, la ferme France ayant « la montée en gamme pour seul horizon ». Un croc-en-jambe à la loi Egalim d’octobre 2018.

L’acétamipride, du « casus belli » au « chlordécone de l'Hexagone »

C’est ainsi que les rapporteurs veulent mettre fin à la séparation de la vente et du conseil des produits phytos, une mesure jugée « contreproductive » car privant les agriculteurs des conseils des techniciens de la distribution. Il veulent aussi rendre facultatif le Conseil stratégiques phytosanitaire, ce que le gouvernement de Gabriel Attal avait plus ou moins entériné lors de la crise de l’hiver dernier ou encore autoriser la pulvérisation par aéronef, dûment autorisée dans le droit européen. En matière de lutte contre les « surtranspositions et surrèglementations françaises », c’est cependant l’acétamipride que la proposition de loi cible tout particulièrement, un insecticide foliaire de la famille des néonicotinoïdes, bénéficiant d’une Autorisation de mise sur le marché (AMM) au sein de l’UE jusqu’en 2033 mais interdit en France depuis 2020, la molécule ayant bénéficié d’un régime dérogatoire après l’interdiction d’usage des néonicotinoïdes entre en vigueur le 1er septembre 2018, conformément à la loi du 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

Si certains de nos voisins européens ne s’en privent pas, plusieurs filières (betteraves sucrière, pomme de terre, légumes…) réclament sa ré-autorisation, à-même de débloquer une situation d’impasse dans le cas de la noisette. Les gouvernements Borne, Attal et Barnier avaient fait la sourde oreille. Le gouvernement Bayrou est quant à lui muet, même si la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher, de tous les gouvernements précités, a pris position contre la réintroduction de produits appartenant à cette famille. Face à des représentants des filières le 22 janvier dernier, Laurent Duplomb a évoqué un « casus belli » à propos de l’acétamipride. Au cours d’une audition par la Commission des affaires économiques du Sénat, en avril 2023, Christian Huygue, alors directeur scientifique agriculture de l’INRAE, avait qualifié l'acétamipride de « chlordécone de l'Hexagone », en référence à la catastrophe sanitaire et écologique induite par cet insecticide dans les bananeraies guadeloupéennes et martiniquaises.

Répression ou régression environnementale ?

Toujours sur le sujet des phytos, la PPL Duplomb-Menonville veut redonner au ministère de l’Agriculture ses prérogatives en matière d’homologation, un pouvoir discrétionnaire confié à l’Anses depuis juillet 2015, conformément à la Loi d’avenir pour l’agriculture d’octobre 2014. « Une mesure qui a déjà fait l’objet d’un débat et d’un vote au sénat », précise le texte. Parmi les autres mesures de la PPL figurent la simplification du régime des Installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) concernant les bâtiments d’élevage, la facilitation des projets de stockage de l’eau présentant un « intérêt général majeur », le retour à la définition de 2019 des zones humides afin de réduire « l’insécurité juridique » des agriculteurs ou encore la possibilité d’exercer un recours en cas de contestation des évaluations indicielles des pertes de récolte. Un dernier article concerne les infractions ayant causé un faible préjudice environnemental, pour lesquelles la procédure administrative, plutôt que judiciaire, serait privilégiée, les peines étant équivalentes, le caractère « infamant » en moins, la PPL évoquant une « répression environnementale ».

"Le Sénat passe l’agriculture et l’environnement au Roundup"

La proposition de loi n’a pas manqué de déclencher la foudre des défenseurs de l’environnement, et notamment de la France nature environnement (FNE), qui évoque « un ensemble de régressions environnementales qui mettent en péril la santé humaine et celle des écosystèmes au bénéfice d’une agriculture industrielle à bout de souffle ». L’association plaide pour une transition vers l’agroécologie, avec la réduction effective des pesticides et une gestion de l’eau partagée, priorisant les besoins en eau potable et environnementaux, une transition de l’élevage dans une logique du moins et mieux et une reconnexion entre agriculture et alimentation sur les territoires. De son côté, le mouvement citoyen Terre de liens accuse la PPL de « tout détruire pour rester compétitif » et plus largement le Sénat, de « passer l’agriculture et l’environnement au Roundup », en faisant allusion à un amendement actant la suppression de l’Agence bio, proposé par Laurent Duplomb et voté le 17 janvier dernier. Face aux représentants des filières comme dans son texte de PPL, Laurent Duplomb a admis le caractère « irritant » de certaines de ses propositions.